[Vu dans la presse] L’ADN sans frontières : les passerelles invisibles de la biodiversité

La Réserve Nationale de la Forêt de la Massane, près d'Argelès-sur-mer, a fait l'objet d'une étude sur le transfert de l'ADN entre les plantes. Rédigée par Moaine El Baidouri du laboratoire LGDP pour la Semaine du Roussillon, cette étude fascinante rend d'autant plus nécessaire la préservation de nos environnements.

  • Le 18 janv.

Rédigé par : Moaine El Baidouri, chercheur CNRS en biologie des plantes (HDR)
 
Laboratoire Génome et Développement des Plantes - LGDP (UMR UPVD CNRS IRD 5096)
18 janvier 2025


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Tout comme les civilisations humaines ont évolué et se sont enrichies à travers les échanges incessants d’idées, de technologies et de connaissances, le monde du vivant révèle une dynamique similaire à une échelle microscopique. Le transfert horizontal est un phénomène biologique fascinant permettant aux organismes d’échanger leur ADN. Ce partage d'ADN pourrait être crucial pour les plantes et d’autres organismes, leur permettant de continuer à s’adapter face aux défis posés par le changement climatique.

Contrairement à la transmission verticale des gènes, qui s’effectue de parent à descendant, les transferts horizontaux permettent aux organismes d’acquérir du matériel génétique d’autres organismes via des mécanismes encore peu connus. Ce processus crée des liens profonds entre les formes de vie, révélant la capacité de la nature à franchir ses propres frontières dans sa quête d’adaptation et d’évolution. Ce phénomène pourrait être considéré comme une forme de génie génétique naturel, dans lequel les organismes intègrent des éléments génétiques étrangers à leur propre génome. Cette capacité est rendue possible par l’universalité du code génétique, partagé par toutes les formes de vie, des virus aux animaux.

Le lierre peut acquérir des fragments d’ADN provenant des arbres

Des implications majeures

Les transferts horizontaux ont des implications majeures pour notre compréhension de l’évolution et de l’adaptation des espèces. Ils montrent que les espèces peuvent incorporer des gènes étrangers fonctionnels, évitant ainsi de devoir les développer elles-mêmes. C’est notamment par ces mécanismes que des bactéries deviennent résistantes aux antibiotiques. De même, certaines plantes acquièrent des résistances en « empruntant » des gènes à d’autres espèces. Cependant, l’ampleur et les mécanismes de ces échanges restent encore mal compris, particulièrement chez les plantes.

Dans ce cadre, nous avons mené une étude pilote au laboratoire Génome et Développement des Plantes (LGDP) de l’Université de Perpignan, visant à explorer les transferts horizontaux chez les plantes. Notre recherche s’est concentrée sur la Réserve Nationale de la Forêt de la Massane, près d’Argelès-sur-Mer, un écosystème unique en France. Nous avons collecté dix-sept espèces de plantes, incluant des arbres, des lianes et diverses plantes herbacées. Le premier défi consistait à identifier les traces de transferts entre ces espèces. Ce processus peut être comparé à l’analyse de deux livres distincts pour y trouver des phrases ou paragraphes « empruntés », analogue aux transferts horizontaux. La complexité réside dans le fait qu’il nous est encore impossible d’obtenir le « texte génétique » des espèces dans le bon ordre. Les technologies actuelles permettent de lire l’ADN de façon fragmentée, sans connaître l’ordre original des « mots génétiques ». Autrement dit, nous découpons l’ADN en millions de petits fragments que nous lisons un à un, avant de tenter de reconstituer la séquence d’origine, à la manière d’un puzzle. Pour surmonter cette difficulté, nous avons développé un logiciel spécialement conçu pour traiter ces séquences, les comparer et identifier celles qui ont été transférées.
 

Lierre

12 transferts horizontaux

Nous avons identifié douze transferts horizontaux entre huit espèces parmi les dix-sept étudiées. De manière surprenante, la moitié de ces échanges se sont produits entre des lianes et des arbres, et l’autre moitié entre des arbres. Par exemple, le lierre et le tamier ont acquis plusieurs fragments d’ADN provenant d’arbres tels que le hêtre, le frêne et le prunier. Ces séquences font désormais partie intégrante du patrimoine génétique de ces lianes. Une autre découverte inattendue concerne la nature de ces transferts : il ne s’agit pas de gènes, mais d’éléments transposables. Ces éléments génétiques ont la capacité de se dupliquer au sein des génomes, engendrant ainsi des mutations. L’impact de l’intégration de ces éléments sur le lierre et le tamier reste encore à établir, et des recherches supplémentaires sont en cours pour mieux comprendre ces échanges génétiques à travers un plus grand nombre d’espèces.

Ces découvertes mettent en lumière l’interconnexion profonde entre les espèces au sein des écosystèmes, où les interactions entre organismes entraînent des modifications significatives et durables de leur patrimoine génétique. Ainsi, la conservation des écosystèmes est essentielle, non seulement pour préserver la biodiversité qu’ils abritent, mais aussi pour permettre aux espèces de continuer à échanger leur ADN et à s’enrichir mutuellement, afin de mieux s’adapter aux changements environnementaux à venir.

Le lierre peut acquérir des fragments d’ADN provenant des arbres.


 

 

Création d'une rubrique de vulgarisation scientifique

Depuis novembre 2024, le journal La Semaine du Roussillon consacre une rubrique sur les projets de recherche menés à l’Université de Perpignan Via Domitia (UPVD). Chaque semaine, un ou une scientifique issu.e d’un des 16 laboratoires de l’UPVD prend la plume et partage ses travaux de recherche de manière vulgarisée.

La Semaine du Roussillon est le premier hebdomadaire d’informations des Pyrénées-Orientales. Il publie, depuis 1996, de l’information générale couvrant l’ensemble du département sous la houlette de journalistes indépendants. Éditée par la SARL Les Éditions de Celestina, La Semaine du Roussillon n’appartient à aucun groupe de presse. Le journal traite de l’actualité avec un intérêt particulier pour les sujets de fond. Cette volonté se traduit aujourd’hui par la création d’une rubrique dédiée à la vulgarisation scientifique.

À travers ses deux écoles doctorales, ses 16 unités de recherche et ses six plateformes technologiques, la recherche à l’UPVD est marquée par sa pluridisciplinarité et sa transdisciplinarité qui lui permettent aujourd’hui d’aborder de nombreux sujets liés à l’environnement, la biodiversité, les arts, les sciences politiques et sociales ou encore l’économie. Résolument engagée dans un esprit de partage de ses connaissances et de valorisation des travaux chercheurs, l’UPVD s’inscrit ici dans une volonté de promotion de la science au service de la société.
 



 


Mise à jour le 21 janvier 2025
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