[Vu dans la presse] La pollinisation par leurre sexuel de certaines orchidées

Chaque semaine, un ou une scientifique de l'UPVD fait part au lecteur du journal La Semaine du Roussillon de ses recherches et de leurs utilités dans notre quotidien. La semaine dernière, Joris Bertrand du laboratoire LGDP nous parle des orchidées et leur mode de pollinisation bien particulier.

  • Le 14 déc.

Rédigé par : Joris BERTRAND, Maître de Conférences, Laboratoire Génome & Développement des Plantes (LGDP), Université de Perpignan Via Domitia (UPVD)/Centre National pour la Recherche Scientifique (CNRS)
 
Laboratoire LGDP (MR 5096 UPVD CNRS IRD)
5 décembre 2024


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Au cours de vos balades printanières dans notre belle région, peut-être avez-vous déjà croisé des plantes qui, bien que discrètes, arboraient des fleurs ressemblant étrangement à des insectes ? Ce sont à coup sûr des orchidées du genre Ophrys, des plantes possédant un mode de pollinisation bien particulier.

Pour assurer leur reproduction, les plantes doivent, en général, voir leurs gamètes mâles, plus communément appelés pollen (l’équivalent de nos spermatozoïdes), rencontrer un ovule (gamète femelle). Afin d’éviter les problèmes liés à la consanguinité, l’évolution a bien souvent favorisé les stratégies faisant intervenir un transfert de pollen entre individus différents. Le vent assure par exemple, la dispersion du pollen des conifères ou des graminées (on parle d’anémogamie), alors que la tristement célèbre posidonie, qui disparaît peu à peu de nos fonds marins (et qui n’est, au passage, pas une algue) voit son pollen dispersé au gré des courants marins (c’est l’hydrochorie). Néanmoins, plus de 80 % des plantes font appel aux services d’animaux : de chauve-souris, d’oiseaux, de reptiles, mais majoritairement d’insectes pour assurer leur reproduction, et c’est bien cette entomogamie qui va nous intéresser aujourd’hui.

Les angiospermes ont même vu se mettre en place un organe dédié à la fois à la reproduction et à l’attraction de leurs pollinisateurs : la fleur. Même l’être humain, qui n’est pas un pollinisateur naturel, a été fasciné depuis la nuit des temps, par l’exubérance et le parfum de leurs corolles. Il en est de même pour l’insecte, même si la réalité peut s’avérer plus complexe. Les fleurs de certaines espèces produisent un nectar sucré qui offrira une récompense à l’insecte qui viendra recueillir le pollen. Mais celles d’autres espèces trichent et font juste semblant d’en produire. Dans certains cas, la fleur se fait même leurre sexuel en imitant un pollinisateur. Cette stratégie de pollinisation par leurre sexuel est relativement rare dans la nature. A l’exception d’une espèce d’Iris et d’une espèce de la famille des astéracées, on ne la trouve d’ailleurs que chez quelques orchidées.
 

Ophrys Speculum © Joris Bertrand

Une plante qui se fait passer pour un insecte

Illustrons notre propos en revenant à nos Ophrys, dont la fleur évoque, de façon parfois très convaincante, la taille, la forme, la coloration d’un insecte à nos yeux d’humains. Des analyses des composés chimiques émis par la plante ont par ailleurs permis de vérifier que la fleur d’Ophrys émet un bouquet d’odeur qualitativement et quantitativement très similaire aux phéromones sexuelles produites par une femelle insecte. Le mâle attiré, tente littéralement de s’accoupler avec cette « poupée gonflable ». Au cours de ses vaines gesticulations, il pourra finir avec du pollen collé sur sa tête ou son abdomen. Il ira éventuellement transférer la précieuse semence, à son insu, sur une autre fleur, en se faisant duper une seconde fois. Le succès de cette stratégie de pollinisation atypique repose sur un degré élevé de spécificité entre la plante et « son » insecte pollinisateur. Des études ont permis d’établir que chaque Ophrys n’aurait en moyenne qu’une ou deux espèces d’insectes de pollinisateur, là où les orchidées des mêmes environnements produisant du nectar (sans tricher), peuvent attirer plus de 150 espèces d’espèces différentes ! Cette contrainte de s’adapter à mimer à la perfection son insecte pollinisateur, permettrait d’expliquer la grande diversité d’espèces observables chez les Ophrys qui auraient divergé à partir d’un ancêtre commun, il n’y a pourtant pas plus de cinq millions d’années. Si cette grande spécificité permet à l’orchidée de se réserver les services d’un, ou d’une paire de pollinisateurs attitrés, l’hyperspécialisation peut aussi s’avérer risquée dans un contexte de changement global. Il a été montré par exemple, que si les Ophrys fleurissent de plus en plus tôt en raison du changement climatique, leurs insectes pollinisateurs émergent encore plus précocement que la plante. Ce décalage pourrait aboutir à une rupture de l’interaction plante-insecte, qui serait fatale à l’orchidée.

Pour toutes ces raisons les orchidées du genre Ophrys constituent un modèle fascinant pour étudier comment se met en place la biodiversité, mais aussi comment le changement climatique, ou encore la destruction de leurs habitats, pourraient détruire en quelques décennies à peine ce que la nature a mis des centaines de milliers d’années à façonner.
 



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Références

  • Bohman B, Flematti GR, Barrow RA, Pichersky E & Peakall R (2016) Pollination by sexual deception – it takes chemistry to work. Current Opinion in Plant Biology, 32, 37-46.
  • Baguette M, Bertrand JAM, Stevens VM & Schatz B (2020) Why are there so many bee-orchid species? Adaptive radiation by intra-specific competition for mnesic pollinators. Biological Reviews, 95, 1630-1663.
  • Joffard N, Massol F, Grenié M, Montgelard C & Schatz B (2019) Effect of pollination strategy, phylogeny and distribution on pollination niches of Euro-Mediterranean orchids. Journal of Ecology, 107, 478-490.
  • Robbirt KM, Roberts DL, Hutchings MJ & Davy A (2014) Potential disruption of pollination in sexually deceptive orchid by climate change. Current Biology, 24, 2845-2849.
 

Création d'une rubrique de vulgarisation scientifique

Depuis novembre 2024, le journal La Semaine du Roussillon consacre une rubrique sur les projets de recherche menés à l’Université de Perpignan Via Domitia (UPVD). Chaque semaine, un ou une scientifique issu.e d’un des 16 laboratoires de l’UPVD prend la plume et partage ses travaux de recherche de manière vulgarisée.

La Semaine du Roussillon est le premier hebdomadaire d’informations des Pyrénées-Orientales. Il publie, depuis 1996, de l’information générale couvrant l’ensemble du département sous la houlette de journalistes indépendants. Éditée par la SARL Les Éditions de Celestina, La Semaine du Roussillon n’appartient à aucun groupe de presse. Le journal traite de l’actualité avec un intérêt particulier pour les sujets de fond. Cette volonté se traduit aujourd’hui par la création d’une rubrique dédiée à la vulgarisation scientifique.

À travers ses deux écoles doctorales, ses 16 unités de recherche et ses six plateformes technologiques, la recherche à l’UPVD est marquée par sa pluridisciplinarité et sa transdisciplinarité qui lui permettent aujourd’hui d’aborder de nombreux sujets liés à l’environnement, la biodiversité, les arts, les sciences politiques et sociales ou encore l’économie. Résolument engagée dans un esprit de partage de ses connaissances et de valorisation des travaux chercheurs, l’UPVD s’inscrit ici dans une volonté de promotion de la science au service de la société.
 



 


Mise à jour le 19 décembre 2024
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