[The Conversation] Sur les traces des animaux antiques : l’ichnologie au service de l’histoire et de l’archéologie

L’ichnologie est la science qui étudie les traces des animaux. Elle est très utile pour les historiens pour comprendre les relations qu’entretenaient les humains avec les autres animaux dans le passé. Un article de Victor Ploux, doctorant du laboratoire CRESEM pour le média de vulgarisation scientifique, The Conversation.

  • Le 6 mars
The Conversation  


On l’a tous déjà vu dans la rue : du béton tout frais ruiné par des traces de pattes de chiens ou de chats. Ce genre de désagrément n’est pas vraiment contemporain puisque les Romains vivaient déjà ce type de mésaventures il y a 2000 ans.

En effet, il est courant que les archéologues rencontrent des empreintes d’animaux sur des objets archéologiques, tel que sur des tuiles d’époque romaine. Cela s’explique par le fait qu’au sein des ateliers de fabrication, les ouvriers laissaient sécher leurs briques et leurs tuiles fraîchement démoulées sur le sol, avant de les cuire. C’est durant cette étape de séchage que des animaux peu précautionneux traversaient les entrepôts, en piétinant parfois le résultat du travail des tuiliers.

Traces animaux
Une empreinte de chien vieille de 2000 ans immortalisée dans une tuile. Victor Ploux, Fourni par l'auteur


Ces animaux peu délicats varient en fonction de l’aire géographique où travaillent les fabricants de tuiles. Parmi les coupables, on retrouve principalement des chiens et quelques chats, tandis que dans les zones rurales on peut rencontrer des animaux sauvages (chevreuil, sanglier…) et du bétail (mouton, chèvre, porc…).

Les empreintes d’animaux sont des sources archéologiques intéressantes, puisqu’elles permettent aux chercheurs de connaître la faune locale qui cohabitait avec les humains dans les ateliers de production de tuiles antiques. C’est d’ailleurs dans cet objectif que nous avons récemment entrepris une étude des collections de tuiles romaines munies d’empreintes d’animaux à Narbonne, dans le département de l’Aude.

Cette étude menée dans les collections du Musée Narbo Via et de l’association des Amis du Clos de la Lombarde, nous a permis d’en apprendre un peu plus sur les animaux qui vivaient autour des ateliers de tuiliers romains dans les environs de Narbonne, entre le Ier siècle avant J.-C. et le IIe siècle après J.-C.

Déjà présentés durant la 19ᵉ Journée Doctorale d’Archéologie, les résultats seront publiés dans la collection Archeo.doct. Cette collection rassemble chaque année les actes des conférences menées au cours de ces rencontres.

Traces de chien
Empreinte de patte de chien sur une tuile romaine trouvée à Narbonne. Victor Ploux, Fourni par l'auteur

L’ichnologie à l’usage des chercheurs

La science qui étudie les traces des animaux se nomme l’ichnologie, elle consiste à identifier des animaux à l’aide de leurs empreintes, de leurs traces de griffes, ou de leurs déjections.

D’après les nombreuses marques de pattes laissées sur les tuiles antiques à travers l’Empire romain, on remarque que le chien est un animal très présent aux côtés des hommes depuis longtemps. En Europe, les chiens domestiques apparaissent durant le Néolithique, mais leur nombre et leur diversité augmentent beaucoup durant l’Antiquité. Leurs traces de pattes, de formes et de dimensions variées nous montrent que les Romains disposaient déjà de plusieurs morphotypes canins différents. En Europe, ils s’apparentent principalement à des sortes de spitz, de lévriers et de molosses.

Durant l’étude que nous avons réalisée sur les tuiles antiques de Narbonne, nous avons conclu qu’au moins 68 % des empreintes retrouvées sur les tuiles locales appartenaient à des chiens. Les mesures effectuées nous ont révélé que ces canidés étaient de tailles variées, avec des longueurs d’empreintes allant de 2,5 à 7 cm. Plusieurs études menées dans d’autres régions indiquent elles aussi une majorité de traces de chiens, tel qu’à Perpignan, à Brigetio (Hongrie), ou à Pergé (Turquie).

Les empreintes sont des sources d’autant plus intéressantes pour les archéologues lorsque l’on ne trouve aucun ossement d’animaux sur place. À Narbonne, comme dans le reste de l’Europe occidentale, les marques de pattes sur des tuiles romaines sont parfois les seules preuves archéologiques de la présence du chat, car les découvertes de squelettes du félin y sont rares.



Les empreintes d’animaux d’élevage tels que des moutons ou des chèvres permettent aussi de connaître les activités domestiques et économiques locales, comme le travail de la laine, la production de viande, de peaux ou de produits laitiers. Nous en avons des attestations à Narbonne, avec quelques empreintes de moutons et de chèvres sur des tuiles.

Comment reconnaitre les empreintes des mammifères

Les empreintes des mammifères peuvent se répartir en trois grandes catégories : les empreintes de mains, les empreintes à pelotes digitales, les empreintes de sabots. Les mains concernent les mammifères insectivores (hérisson, taupe…), les rongeurs (rat, mulot…) et les lagomorphes (lapin, lièvre…). Les pelotes digitales appartiennent aux mammifères carnivores (chien, chat, genette…). Les sabots, quant à eux, concernent les grands mammifères herbivores (mouton, chèvre, chevreuil, bœuf, cheval…) et les suidés (sanglier, cochon…).

Il est assez facile de différencier ces trois grands groupes d’empreintes, mais le travail d’identification se complexifie lorsque l’on cherche une espèce précise au sein d’un même groupe. Il existe toutefois des astuces simples pour identifier quelques animaux comme le chien, le chat, le cheval, le bœuf et le sanglier.

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Dessins de quelques empreintes de mammifères (les échelles ne sont pas respectées). Fourni par l'auteur


Parmi les empreintes à pelotes, celle du chat se distingue facilement de l’empreinte du chien : le chien et le chat ont quatre pelotes digitales, mais les empreintes du chat n’ont pas de traces de griffes, car il les rétracte lors de ses déplacements.

Pour identifier les empreintes à sabots, on peut compter le nombre de doigts visibles et examiner leur forme. Les empreintes de suidés se démarquent par la présence de quatre doigts (deux doigts médiaux et deux latéraux), tandis que les autres mammifères herbivores ne marquent qu’un ou deux doigts. Les empreintes de bœufs ont une forme circulaire à deux doigts, tandis que celles des équidés n’ont qu’un seul doigt circulaire.

Les empreintes des autres mammifères herbivores sont plus compliquées à identifier pour un non spécialiste, car elles se ressemblent énormément. Elles se composent de deux longs doigts parallèles. Pour les différencier, on peut mesurer les dimensions des doigts, voir s’ils ont des extrémités crochues ou arrondies, ou si les deux doigts sont de la même forme…

Malgré toutes ces méthodes, il arrive toutefois que des empreintes ne puissent pas être formellement identifiées. Ainsi, parmi les dizaines d’empreintes examinées sur les tuiles de Narbonne, quatre pelotes isolées n’ont pas pu être identifiées avec certitude, malgré l’aide apportée par des collègues ichnologues plus expérimentés.

L’ichnologie peut néanmoins être une science très utile aux chercheurs qui étudient la faune du passé, car elle nous permet de nous renseigner sur les animaux qui vivaient auprès des hommes durant les temps anciens. De plus, certaines empreintes peuvent nous offrir des indices quant aux activités humaines liées aux animaux, comme l’élevage ou la chasse.

Outre les chercheurs, l’ichnologie peut aussi avoir un usage récréatif pour les promeneurs, ou les simples curieux. Une balade en forêt permet de trouver une multitude de traces d’animaux que vous pourriez tenter d’identifier. Il s’agit là d’une activité de plein air qui permet aux plus jeunes de découvrir la faune qui les entoure. L’étude des empreintes et des déjections animales est aussi très utile aux chasseurs et aux photographes animaliers, afin de repérer les passages des animaux sauvages. Enfin, depuis plusieurs décennies, il est courant que les musées d’archéologie et les parcs animaliers exposent des empreintes dans leurs parcours. Les visiteurs, et tout particulièrement les enfants, prennent alors plaisir à identifier les animaux à l’aide de ces marques.

Instructive et ludique, l’ichnologie est donc une science fascinante pour quiconque souhaite suivre la trace des animaux.


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Auteur :
  • Victor Ploux, Doctorant en Histoire romaine, Université de Perpignan Via Domitia (CRESEM)



Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
 

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Mise à jour le 10 mars 2025
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