1 train pour 20 000 camions sur les routes chaque année. Le rapport de force semble inespéré dans la course à la réduction du CO₂. Pourtant, le train des primeurs est à l’arrêt. En cause : la concurrence de la route plus économe, un manque d’investissement dans le rail et la disparition de FRET SNCF. Alors, comment transporter les fruits et légumes vers nos étals ?
La circulation des trains s’annonce encore difficile pour ces vacances de Noël. Un préavis de grève a été déposé par des cheminots en réaction à la réforme du fret ferroviaire. La raison : l’ouverture à la concurrence du secteur imposée par la Commission européenne. Le 1er janvier 2025, Fret SNCF disparaît au profit de deux entreprises, Hexafret pour le fret et Technis pour la maintenance. Le transfert de 23 services ferroviaires à la concurrence est également acté.
Le 27 juin dernier, le « train des primeurs », service partie prenante des 23 flux, devait faire son dernier voyage de la saison. Départ 16 heures de Perpignan, ville périphérique du territoire français, proche de l’Espagne. Arrivée à 3 heures du matin en gare du marché d’intérêt national (MIN) de Rungis. Comme un symbole des difficultés du transport de marchandises par train, celui-ci n’est pas parti en ce jour d’été. Les marchandises voyagèrent non par les rails, mais par la route.
Ce train des primeurs est l’emblème d’un secteur en mal de compétitivité. Bien qu’il soit une alternative aux émissions de gaz à effet de serre, il fait les frais de son principal concurrent, le transport routier.
Déclin inéluctable du train des primeurs
Créé en 1986, ce service ferroviaire trouve son origine dans le besoin de relier de marchés de première importance en France et en Europe. Le point de départ : la plate-forme Saint-Charles International de négoce de fruits et légumes située à Perpignan. Y transitent des productions agricoles ayant pour origine majeure le Maroc et l’Espagne. Ces produits sont notamment transportés par le train dit « des primeurs » en direction du MIN de Rungis. Dans le passé, et jusqu’au mois de juin 2024, une partie de la consommation de produits frais agricoles consommés par les Parisiens traversait la France par train. Pourtant, au fil des années, la fréquence de circulation du train a diminué. À son apogée, on comptait 4 allers-retours par jour. Au printemps 2024, seul un train faisait le trajet avec 4 ou 5 wagons remplis sur la douzaine au total. Il a même été interrompu entre 2019 et 2021, faute de clients et donc de marchandises pour le remplir. Conscient de cette impasse, le premier ministre Jean Castex avait fait de la relance du train des primeurs un emblème : « il faut que tu répares cette insulte au bon sens et à l’avenir ». La réouverture de la ligne est actée le 22 octobre 2021.
Démantèlement du rail et concurrence de la route
L’expression « les mêmes causes, dans les mêmes circonstances, produisent les mêmes effets » s’applique parfaitement à ce cas spécifique. Son arrêt en juin 2024, sa reprise en novembre de la même année, tient à un faisceau d’explications. Du point de vue du marché, la seule entreprise, Primever, n’a pas souhaité utiliser à nouveau cette solution de transport. S’y ajoute la décision de transformation de l’établissement Fret SNCF et le transfert des 23 flux à la concurrence.
Si la plupart des flux ont été repris par des entreprises ferroviaires concurrentes, le train des primeurs n’a pas trouvé de repreneur. La concurrence du transport routier explique aussi (et surtout) le faible attrait pour le train des primeurs, et pour l’ensemble du secteur ferroviaire. Ainsi, la part modale stagne depuis quelques années aux alentours de 10 %. Jean Castex rappelait en octobre 2022 un fait : « Il y a une distorsion entre le rail et la route, à laquelle s’ajoutent les désinvestissements majeurs de la nation pendant des décennies ».
Vers un transport combiné ?
Verra-t-on à nouveau des marchandises transportées par le train des primeurs sur les étals des commerces des Franciliens ? À l’arrêt complet, le train des primeurs pourrait ne pas repartir. Alors même qu’acteurs publics, dont la région Occitanie très présente sur le sujet, et privés appellent de leurs vœux le déploiement de solutions de transport décarbonées. En effet, le train peut remplacer jusqu’à 20 000 camions sur les routes chaque année.En 2021, la convergence vers des investissements dans le secteur ferroviaire semblait actée. Le train des primeurs pouvait miser sur sa survie grâce à des avantages de poids : une période de circulation la nuit, des subsides publics et des trains adaptés aux réseaux anciens. Le modèle économique était rendu compliqué quand le train faisait le trajet retour avec des wagons vides. Dans ce sens, le transport combiné pourrait sortir le train des primeurs de l’impasse. Elle consiste à transporter des conteneurs, semi-remorques sur train. L’utilisation du transport routier est nécessaire seulement aux extrémités de la ligne. Le MIN de Rungis, représenté par la SEMMARIS envisage cette solution et des travaux à l’intérieur du marché.
Une chose est sûre : le train des primeurs restera une préoccupation des passionnés du rail.
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Auteur :
- Guillaume Carrouet, maître de conférences en Géographie, Université de Perpignan Via Domitia
- Le Van Suu Julien, enseignant-chercheur en logistique, CY Cergy Paris Université
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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