Certains vecteurs de maladies infectieuses font l’actualité. C’est le cas du moustique tigre, dont la piqûre peut provoquer la dengue, ou des tiques, qui peuvent notamment transmettre la maladie de Lyme.
Mais une large gamme d’animaux dits « parasites » sont beaucoup moins médiatisés, alors qu’ils sont largement répandus et, eux aussi, potentiellement dévastateurs pour la santé humaine et animale.
Qui, par exemple, a déjà entendu parler des vers plats parasites appelés trématodes ? Ils sont pourtant responsables de nombreuses maladies liées à l’eau et à la nourriture…
Certains d’entre eux, les douves du foie, sont à l’origine d’une maladie qui peut avoir de graves conséquences : la fasciolose (aussi parfois appelée fasciolase ou distomatose hépatique).
La France n’est pas épargnée, mais jusqu’ici le nombre de cas humains annuels restait très faible. Toutefois, l’arrivée de nouveaux escargots d’origine tropicale dans notre pays inquiète certains spécialistes.
Les troupeaux qui paissent à proximité de points d’eau risquent d’être contaminés par la grande douve du foie, un ver parasite transmissible à l’être humain.
Qu’est-ce que la fasciolose ?
Parmi les maladies causées par les vers plats trématodes, la fasciolose est celle dont la répartition mondiale est la plus large.Elle tire son nom du fait qu’elle est occasionnée par des vers appartenant au genre Fasciola (notamment l’espèce Fasciola hepatica), couramment appelés « grandes douves du foie » car, au terme d’un processus complexe, ils migrent puis se développent dans le foie des hôtes mammifères qu’ils infectent.
De nombreux mammifères domestiques ou sauvages peuvent être victimes de la grande douve du foie, et l’être humain lui-même est un hôte potentiel de ce parasite. Il se contamine généralement en ingérant des végétaux aquatiques crus qui sont porteurs de larves enkystées du vers parasite.
En France, le cresson « sauvage » est l’aliment le plus fréquemment impliqué dans la transmission de la douve du foie. D’autres salades sauvages, comme le pissenlit ou la mâche, peuvent également être en cause. De manière exceptionnelle, le cresson cultivé peut aussi être contaminé, en cas d’inondations.
Dans la fasciolose humaine, on distingue une phase aiguë et une phase chronique. La première se caractérise par de la fièvre, des nausées, de fortes douleurs abdominales, et du gonflement du foie. Dans la seconde, se manifestent des douleurs épigastriques, des nausées, une intolérance aux graisses, une inflammation et une obstruction des canaux biliaires, ainsi que des lésions hépatiques. Le malade souffre de jaunisse et d’anémie. En l’absence de traitement, les symptômes peuvent durer plusieurs années.
Où sévit la maladie ?
On retrouve la fasciolose sur tous les continents, à l’exception de l’Antarctique. Elle sévit en milieu tropical ou tempéré, voire à des latitudes très septentrionales, en plaine comme à haute altitude. En outre, les prévalences humaines des fascioloses sont très variables.Selon certaines estimations, environ 50 millions de personnes seraient touchées par cette maladie et près de 180 millions vivraient dans des régions à fort risque d’infection.
En France et en Europe, il n’existe pas de système de surveillance permettant de se faire une idée du nombre de personnes contaminées chaque année. D’après des chiffres de l’Agence nationale de sécurité sanitaire datant de 2016, le nombre de cas demeure cependant très faible dans le pays (en moyenne, 5 personnes ont été hospitalisées chaque année entre 2008 et 2013).
Un parasite en réémergence
Le faible nombre de contaminations humaines recensées en France ne doit pas masquer la situation globale : à l’échelle mondiale, on constate en effet une augmentation de la transmission de fasciolose. Les invasions des limnées, les escargots aquatiques dans lesquels se développe le ver avant d’infecter un mammifère, sont l’un des facteurs qui expliquant cet accroissement.En effet, bien que les limnées ne soient pas capables de parcourir de longues distances par elles-mêmes (leur dispersion « active » est limitée), il n’en demeure pas moins qu’une migration « passive » de ces mollusques s’opère depuis des millions d’années : ils sont transportés par les courants ou par divers animaux, notamment les oiseaux ou certains mammifères
Par ailleurs, plus récemment, les activités humaines ont changé la donne : elle ont pris le relais, en favorisant la dispersion de par le monde de certaines limnées considérées comme des hôtes majeurs. Ainsi, du fait du commerce international, et notamment de celui des plantes utilisées en aquariophilie, plusieurs espèces tropicales ont été introduites très loin de leurs aires natives.
Dans le cadre de la mondialisation, cette situation fait courir le risque d’une augmentation drastique des espèces de limnées présentes sur certains territoires, notamment européens.
La limnée Galba cubensis est le principal hôte de la grande douve du foie dans les Caraïbes (photographiée ici à Cuba).
crédit : Antonio Alejandro Vazquez Perera, IHPE
Des espèces exotiques arrivent en Europe
En Europe, l’espèce de mollusque locale qui joue un rôle majeur dans la fasciolose est la petite limnée amphibie (Galba truncatula), une espèce bien adaptée aux milieux tempérés et froids. Mais trois espèces particulièrement dangereuses, introduites il y a peu, ont déjà été détectées sur le territoire européen.La plus ancienne, Pseudosuccinea columella, est originaire d’Amérique du Nord. Repérée pour la première fois en 2004 sur les rives du Lot, elle a aussi été retrouvée très récemment dans plusieurs stations sur le canal du Midi et en Corse.
Deux autres espèces de limnées exotiques, l’une originaire d’Amérique centrale et du Sud ainsi que des Caraïbes (Galba cubensis), l’autre d’Asie et d’Océanie (Orientogalba viridis) sont aussi venues allonger la liste des mollusques européens. Toutes deux ont été échantillonnées dans la région du Delta de l’Ebre, en Espagne, depuis 2010. La limnée asiatique, en particulier, s’est très bien établie dans cette région, où ont été détectées en 2020 des populations stables.
Dans leurs aires natives de répartition, ces espèces exotiques sont capables de maintenir des populations stables pendant les mois les plus chauds de l’année. Dans un contexte de changement climatique et de tendance au réchauffement des températures, ces espèces de limnées introduites en Europe pourraient commencer à s’établir pleinement et jouer un rôle dans l’épidémiologie de douves du foie.
Cette situation nouvelle fait courir le risque d’une transmission ininterrompue de la fasciolose dans le sud de l’Europe. Cela constitue une menace latente à prendre au sérieux.
Les animaux d’élevage, des acteurs principaux dans l’épidémiologie de la fasciolose
La relation entre les activités d’élevage et la circulation des douves du foie est très étroite. Les ruminants domestiques (ovins et bovins) jouent en effet le rôle de principaux hôtes définitifs du parasite, et assurent sa dissémination par leurs excréments.En France, dans 80 départements, les prévalences de douves du foie dans les troupeaux de bovins dépassent les 60 %. Le Cher, les Pyrénées-Orientales et le Lot affichent même 100 % de prévalence. Au total, on estime que 86 % des élevages sont touchés.
Le pâturage dans des zones à risque caractérisées par la présence de mollusques, comme les ruisseaux, les canaux d’irrigation ou les terrains inondables, sont des facteurs déterminants du potentiel d’expansion de ces vers. Doivent également être pris en compte les mouvements des animaux domestiques (bovins, ovins, et caprins) lors des échanges commerciaux. Enfin, la faune sauvage (sangliers, ragondins, etc.) peut aussi jouer un rôle dans la dispersion des parasites entre des habitats non connectés entre eux, à partir d’un foyer à forte prévalence lié aux activités d’élevage.
En pratique, une meilleure identification des mollusques peut aider à organiser le pâturage des troupeaux : en fonction de la présence des limnées sur les sites, il peut être judicieux d’interdire soit la libre circulation des bêtes dans les zones d’élevage, soit leur déplacement vers les zones d’abreuvage.
Pas de vaccin ni de traitement préventif contre la fasciolose
Terminons en soulignant qu’il n’existe actuellement aucun vaccin ni traitement préventif pour la fasciolose.L’Organisation mondiale de la Santé recommande cependant un médicament pour la prise en charge des phases aiguës et chroniques, le triclabendazole. Mais celui-ci est parfois administré alors que le parasite a déjà endommagé l’organisme.
Dans le cas des traitement des troupeaux, même s’il existe plusieurs alternatives, le triclabendazole continue a être les plus effectif en éliminant les parasites les plus jeunes. En revanche, des cas de résistance sont de plus en plus observés.
Afin de contrôler cette maladie, il apparaît donc essentiel de mettre en place, sur le terrain, des actions de surveillance des limnées, ces escargots aquatiques qui servent d’intermédiaires dans la fasciolose. Et plus spécifiquement, des espèces exotiques potentiellement invasives.
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Auteurs:- Antonio Vazquez, Chercheur, IHPE, Université de Perpignan
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Accompagnés par des journalistes, les chercheurs de l'UPVD sont invités à proposer des articles afin de faire connaître leur travail au grand public. Enjeux environnementaux, sociétaux, juridiques, économiques... : l'UPVD ne manque pas d'axes de recherche qui sont au coeur des grandes interrogations contemporaines.
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Mise à jour le 18 juin 2024